Atelier en ligne
Adaptation pour cause de confinement d’un atelier d’écriture animé initialement à la Criée le jeudi 3 octobre 2019 par Anne-Claude THEVAND
Le monde onirique, témoin de notre société, l’interroge
En écho au spectacle L’Assemblée des rêves de Lancelot Hamelin les 1er et 2 octobre 2019
Avez-vous rêvé cette nuit ? Avez-vous rêvé un jour ? En quoi nos rêves et nos cauchemars témoignent-ils de notre époque ?
Avec des extraits de Charlotte Beradt et Bernard Lahire.
1) Présentation du livre de Bernard Lahire, L’interprétation sociologique des rêves.
Bernard Lahire est sociologue et professeur de sociologie à l’École Normale Supérieure de Lyon. Dans L’interprétation sociologique des rêves, il s’empare d’un objet d’étude largement ignoré des sociologues : le rêve, ce d’autant plus que rêver est perçu pour beaucoup comme un acte individuel. Il va plus loin que la psychanalyse, plus loin que Freud pour faire rentrer le rêve dans l’univers des sciences sociales et aller vers une interprétation sociologique des rêves. Ce livre retrace des années de travail.
2) Lecture d’extraits de L’interprétation sociologique des rêves de Bernard Lahire.
Les numéros de pages renvoient au livre paru en 2018 aux éditions La découverte.
Extrait 1 sur la réalité sociale, page 100 :
On peut dire que le rêve est réalité sociale :
Parce que rêver suppose des capacités symboliques socialement constituées […] ;
Parce que le rêve concerne en tout premier lieu les problèmes et préoccupations de la vie éveillée d’individus socialisé ;
Parce que ces problèmes et préoccupations révèlent les dispositions socialement constituées de longue date à travers de multiples expériences sociales ;
Parce que ces problèmes ou préoccupations comme ces dispositions ont été réactivés par des situations vécues au cours de la vie sociale à l’état éveillé ;
Et enfin parce que le rêve n’est accessible que par des récits de rêves qui supposent des compétences langagières socialement constituées et inégalement distribuées parmi les rêveurs.
Extrait 2 sur les rêves posttraumatiques, page 78 :
Tous ceux qui ont vécu les mêmes évènements traumatisants peuvent faire des rêves posttraumatiques qui ont des airs de famille.
Extrait 3 sur le rêve différent de situations « rêvées », page 249 :
Lieu de tous les soucis, de toutes les préoccupations, de tous les problèmes, de tous les conflits, de toutes les tensions, le rêve n’est pas l’espace de « ce qui va de soi ».
Le rêve est donc tout sauf la mise en scène de situations « rêvées » (souhaitées, désirées). Il est même assez paradoxal que, dans le sens commun, le mot rêve soit utilisé pour évoquer des situations très enviables ou désirables.
3) Présentation du livre de Charlotte Beradt, Rêver sous le IIIe Reich.
Charlotte Beradt est une opposante de la première heure au régime hitlérien. De 1933 à 1939, elle rassembla 300 rêves de femmes et d’hommes ordinaires pour mesurer combien le nouveau régime « malmenait les âmes ». Le livre, publié pour la première fois en 1966 montre que le IIIèmeReich s’est immiscé jusque dans la vie onirique des gens, que ce soit par la résistance au régime, le pressentiment de ce qui allait advenir, la propagande, la servitude en régime totalitaire ou le désir érotique pour Hitler principalement.
4) Lecture d’extraits Rêver sous le IIIe Reich de Charlotte Beradt.
Les numéros de pages renvoient au livre paru en 2004 aux éditions La petite bibliothèque payot.
Extrait 1 sur la réalité politique, page 57 :
Le responsable nazi qui a affirmé que sous le Troisième Reich on n’avait pas de vie privée qu’en dormant, a sous-estimé les possibilités du Troisième Reich.
Extrait 2 sur « je n’ai plus de joie à rien », page 75 :
Un crime qui consiste à dire : « je n’ai plus de joie à rien » est commis en rêve par un homme dans l’Allemangne de 1934.
Ce juriste, employé de l’administration communale, la quarantaine, fit ce rêve :
« Vers huit heures du soir, comme tous les soirs, je téléphone à mon frère, mon seul confident et ami. Après avoir vanté, par précaution, à quel point Hitler agit comme il faut et combien la communauté du peuple s’en trouve bien, je dis : « Je n’ai plus de joie à rien ».
Au milieu de la nuit, on me téléphone. Une voix inexpressive me dit : « Ici le Service des conversations téléphoniques » – et rien d’autre. Je sais aussitôt que mon crime est en rapport avec ce que j’ai dit à propos de la joie, je m’entends argumenter, prier et supplier qu’on me pardonne cette fois, que juste cette fois on ne me dénonce pas, on ne me signale pas, qu’on ne m’en tienne pas rigueur. Je m’entends parler comme si je plaidais. La voix reste absolument silencieuse et l’on raccroche en silence, me laissant dans les affres de l’incertitude. »
Si éprouver de la joie est le plaisir désintéressé de l’existence humaine, alors considérer ne plus avoir de joie à rien comme un crime est la marque de la déshumanisation d’un monde enfermé par des idéologies et soumis à un diktat qui poursuit un but intéressé. Cette image – une autre de ces exagérations qui éclairent l’absurdité de la réalité – condense la situation existante.
Extrait 3 sur la communication de masse, propagande, pensées prescrites, pages 77 et 78 :
Au fil du temps l’effet propre des moyens de propagande alla aussi loin qu’il le devait : dans les rêves haut-parleurs, banderoles, affiches, gros titres, tout l’arsenal du monopole de l’information occupaient fréquemment le rôle principal.
[…] Tous les moyens de propagande auxquels les rêveurs étaient exposés dans la journée sont devenus des figures oniriques, pas très éloignées du sleepteaching de Huxley, cet émetteur glissé sous l’oreiller qui diffuse des pensées prescrites.
5) Récit de rêve
Vous êtes un personnage vivant dans une société oppressante où nos libertés sont atteintes (ou un personnage vivant confiné chez lui).
Écrire un des rêves de ce personnage.
Pour vous aider :
Le récit de rêve est un texte fictionnel avec des flashs, de simples descriptions ou de l’action. Comme dans un rêve, les phrases peuvent être déconstruites, on peut passer du coq à l’âne. On peut utiliser :
– des métaphores, des symboles, des exagérations. Dans L’interprétation sociologique des rêves, page 324, Bernard Lahire précise que :
La dramatisation ou exagération découle en grande partie de leur caractère symbolique et visuel. […] Le rêve procède à des symbolisations et à des métaphorisations qui ont tendance à marquer plus fortement l’esprit que lorsque la situation est racontée verbalement à l’état éveillé.
– des condensations. A la page 346, Bernard Lahire écrit :
La condensation est un phénomène propre au rêve qui consiste à créer des personnes, des lieux, des objets qui sont des mixtes de plusieurs personnes, de plusieurs lieux ou de plusieurs objets.
Le rêve doit montrer comment la situation vécue par le personnage s’immisce dans sa vie onirique, quitte à être honteux et mal à l’aise au réveil.
Prenez 30 minutes ou plus, selon affinités.
J’aimerais beaucoup lire vos textes, je vous ferai un retour constructif toujours dans la bienveillance.
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Anne-Claude THEVAND