C’est presque dommage que Carole Martinez écrive des bons livres, parce qu’elle a aussi un vrai talent pour le one woman show ! Le numéro qu’elle nous a fait récemment à Manosque valait le déplacement… La pauvre Maya Michalon qui animait la rencontre (on l’adore !) n’arrivait plus à en placer une.
Carole Martinez, Dors de ton sommeil de brute, Gallimard, 400 pages
Donc, l’artiste écrit aussi des livres. Ici, on cause instinct de maternité, violence masculine, amour et marécages. Parce que ça se passe en Camargue. Mais aussi dans tout le reste du monde. Parce qu’il se passe de drôles de choses dans le monde de cette histoire. Des enfants qui se réveillent tous à la même heure en hurlant. À la même heure, mais pas au même moment. Ah oui, parce qu’il n’est pas la même heure au même moment partout dans le monde. C’est fou, quand on y pense ! Donc, ça hurle toutes les heures, pendant vingt-quatre heures, en faisant tout le tour de la terre, puis ça s’arrête. Mais quelques jours plus tard, c’est un nouveau phénomène qui recommence au même rythme, et c’est pas fini. On vous dit pas quoi, vous lirez le livre si ça vous intéresse. Et ça devrait, parce qu’il s’en passe des bizarres, de choses, dans le monde.
On suit l’affaire grâce à la petite radio à piles d’un grand voisin un peu sauvage. Voisin du mas où Eva et Lucie, la maman et la fifille, se sont réfugiées pour fuir les poings de Pierre, le mari et papa. Alors, pour les prénoms, on vous refile le secret que nous a confié Carole Martinez : Eva, comme Ève, la première femme selon la Bible, Lucie comme la première femme selon les anthropologues qui l’ont découverte en Éthiopie en 1974. Et Pierre, je vous laisse deviner.
C’est surtout un roman sur l’humanité, la collectivité humaine que nous sommes censés former. Rien ne sert de se cacher, nous faisons tous partie de la même grande chaîne. Salut les maillons, comme disait l’autre !
Extrait
« — En tout cas, les punitions collectives, c’est idiot. Je déteste quand la maîtresse fait ça, qu’elle punit toute la classe.
— Elle veut peut-être vous montrer que vous dépendez les uns des autres, qu’une bêtise de l’un engage tout le groupe, que nous sommes à la fois des individus et une communauté. La difficulté, c’est d’arriver à garder sa liberté individuelle tout en préservant le groupe. Regarde les fourmis, chacune d’elles n’est qu’un bout de la fourmilière, elles n’ont pas conscience d’être des individus. Nous si. »
Un autre
« — Je me croyais loin de tout, hors de la communauté humaine.
— On ne peut visiblement pas lui échapper. Ce qui arrive à l’humanité nous touche tous, aussi séparés que nous puissions être du reste du monde, nous sommes un morceau d’humanité et tout ce qui la secoue nous secoue. »
Par Jean-Paul Garagnon | 29 octobre 2024