Le titre de la première partie du livre « Portrait de groupe » pourrait s’appliquer à l’ensemble du roman ; on précise que le groupe est constitué d’enfants et d’adultes habitant tous au groupe scolaire Denis-Diderot, et que le récit déroule une année charnière pour nombre d’entre eux, l’année 1975. C’est pour la société d’après 68 le passage du noir et blanc à la couleur, de l’hiver à l’été – les trois autres parties du roman s’intitulant « Automne », « Printemps », « Été ». Parmi les enseignants, on trouve des vieux de la vieille, accrochés aux vieilles méthodes et à un autoritarisme certain – quand il ne va pas jusqu’aux châtiments corporels – déstabilisés par les tenants des nouvelles pédagogies inspirées notamment par Célestin Freinet, où l’on tente de développer l’autonomie des enfants. Parmi les enfants, on devine une fibre autobiographique en Philippe Goubert, le maladroit, l’hypersensible, le déjà littéraire. Dans l’obscurité du sous-sol, il s’était vu invité à la télévision, des années plus tard. L’animateur de l’émission du vendredi soir consacrée à la littérature l’interviewait. Il souhaitait comprendre de quand exactement datait sa vocation à raconter des histoires. Goubert prenait une longue inspiration puis racontait froidement l’anecdote de ces deux camarades en train de réparer le vieux vélo et de réduire en miettes la confiance qu’il avait dans les adultes. Il souriait – un sourire bref et glacial – et ajoutait cette phrase qui résonnait dans le studio : « Ce jour-là, je suis devenu un autre. » p. 58 D’emblée, on est conquis par le ton : pas de nostalgie pour un paradis de l’enfance, ni d’amertume ou d’aigreur qui tendrait à nous faire croire que « c’était mieux avant », non mais de l’ironie souvent acerbe (masque de « l’ironie grinçante »), parfois tendre (le fameux oxymore de « tendre ironie ») quand l’auteur nous dépeint l’enseignante – Big Coudrier (is watching you) – à sa fenêtre, à l’affût de collègues adultères, devenant elle aussi une Marie-Salope presque à son corps défendant. On va même jusqu’à rire avec (pas de) ces personnages jamais caricaturaux – même les plus antipathiques sont bien plus complexes qu’au premier abord. Portrait d’une société en pleine mutation, portrait d’un groupe de personnages vivant en vase de moins en moins clos, la grand escapade du titre traduit pour chacun des personnages un bouleversement déterminant dans leur vie. Si l’on a plaisir à entrer dans ce roman où l’on s’amuse à retrouver des figures populaires (pour les plus vieux d’entre nous) telles que Gicquel ou les Rubbettes, on est surpris et saisi par les derniers chapitres qui gagnent en puissance, révélant un très bon auteur (c’est la première fois que je lis Blondel) beaucoup moins léger qu’il n’y paraît, puisque la grande escapade pourrait bien être la dernière pour certains personnages. >>> Christine Zottele, septembre 2019.