On ne le sait pas forcément : avant d’être une méthode, Coué est le nom d’un homme, né en 1857 à Troyes et mort en 1926 à Nancy. Mis à part les plus jeunes (il faudrait qu’ils se documentent un peu), tout le monde a entendu parler de la méthode Coué dont la définition par Wikipédia est savoureuse : « forme d’optimisme volontaire mêlé ou non de déni du réel (volontarisme), mais [qui] a acquis en politique une connotation péjorative ». Dans son deuxième roman, La vie meilleure, Etienne Kern lui donne chair. Ce qui lui permet de faire sa profession de foi en l’écriture.
Etienne Kern, La vie meilleure, Gallimard, 192 pages
Nous n’avons pas pour habitude de lire des manuels de développement personnel. Ça tombe bien, car le roman d’Étienne Kern n’en est pas un. Mais le bon Docteur Coué n’était-il pas un précurseur dans ce domaine ? On peut se poser la question, et plus précisément on la pose au premier moteur de recherche venu : « recettes pour aller mieux ». Ça foisonne en retour : « Stratégies d’auto-coaching pour choisir le bonheur », « Une science du bonheur », « 10 recettes pour se remonter le moral », etc. On n’est pas loin de fameuse méthode qui consistait à répéter chaque jour en boucle, tel un mantra ou un rosaire, « Tous les trous, à tout point de vue, je vais de mieux en mieux »
Quels pouvoirs sont en jeu dans cette affaire ? Comment l’auteur tente-t-il de nous faire croire en ce qu’il raconte ? Peut-on parler d’un parallèle entre les pouvoirs de la littérature et les pouvoirs de la parole ? La littérature d’Étienne Kern, la parole d’Émile Coué ? Au point que le chroniqueur a failli écrire Émile Kern et Étienne Coué… Tout romancier n’est-il pas un charlatan, ce mot souvent associé à la « Méthode Coué » ? Le lecteur, acceptant le pacte narratif, est-il si différent du « patient » répétant vingt fois la formule magique en égrenant sa cordelette-chapelet « Tous les jours à tous points de vue, je vais de mieux en mieux » ?
Kern dresse le portrait d’un homme qui croit en le pouvoir thérapeutique de la parole par lequel il croît lui-même en retour. C’est un texte ponctué de souvenirs d’enfance de l’auteur, ce couple de proches, endeuillé par la perte d’un enfant, que le narrateur faillit à réparer. Tandis que Coué est lui-même endeuillé (« impuissanté » ?) par cet enfant jamais né, fleur qui n’a jamais poussé. Peut-être un moyen trouvé par l’auteur pour donner un peu plus de relief à un texte finalement assez lisse et sans doute trop explicite. Était-il besoin de combler tous les trous dans la biographie d’Émile Coué ? Kern s’est-il dit « Tous les trous, tous les points de vue, je vais les combler » ?
Par Jean-Paul Garagnon | 1e novembre 2024