La famille, ça fait partie des petits soucis quotidiens. Mais il y en a qui exagèrent, quand même. Dans la famille des narrateurs, parce qu’il y en a plusieurs, je voudrais le père, monstre sacré du théâtre parisien ; la mère, monstrueuse sacrée en voie de « démonstruosition », parce que les femmes, au théâtre, ça dure moins longtemps. Je voudrais la fille, un peu chtarbée, pas mal habitée, mais finalement peut-être la plus saine scène de la bande. Je voudrais des grands-parents maternels berlinois anciens drogués, parents à la manque.
Rebecca Lighieri, Le club des enfants perdus, P.O.L, 528 pages
La fille, c’est Miranda, mélancolique assumée jusqu’à ce qu’elle rencontre un jeune acteur de deuxième ordre qui déplaît fortement à Armand, le père, vedette du théâtre. Birke, la mère, s’en fout pas mal, elle est ailleurs… Miranda a des drôles de pouvoir. Est-elle vraiment capable de prévoir la mort d’une voisine ? Se trouve-t-elle réellement à deux endroits à la fois, ou bien est-ce le père qui a des visions ?
La vie c’est pas toujours un truc facile à vivre, la jeunesse non plus. Et c’est encore moins facile pour Miranda qui sait trop de choses, qui voit trop de choses. On est plus ou moins conscient du monde dans lequel on vit et le pire c’est d’en être un peu plus conscient que les autres.
La prise de parole de Miranda en tant que narratrice, dans la deuxième partie du livre, nous donnera des clés supplémentaires pour comprendre un texte qui flirte avec le fantastique ; et tout flirt peut s’accompagner de contacts plus ou moins forts, on sait ça. Miranda plane au-dessus de la mêlée. Le dieu Asmodée soulevait les toits des maisons pour regarder à l’intérieur ; Miranda pénètre carrément dans l’esprit des autres pour voir à leur façon.
Lighieri ne prend pas de gants avec le lecteur, libre à lui de se laisser embarquer.
Extrait
« Je connais le plaisir que mes frères humains prennent à soumettre et à torturer. J’ai été du côté des tortionnaires, j’ai mentalement épousé leur désir de puissance et de souillure – puis leur satisfaction immonde à se voir exaucés. C’est parce que je peux me targuer de cette compréhension intime du cœur des bourreaux que le bonheur est impossible. Cobain a dû en arriver à la même conclusion et pour les mêmes raisons. Les incohérences de sa lettre n’en sont pas : l’humanité mérite autant d’amour que de haine, autant de pitié que de crainte – et la vie est parfaitement invivable. »
Par Jean-Paul Garagnon | 4 novembre 2024