On pourrait parler de roman rural. Penser à Giono, en moins grandiloquent. À Marie-Hélène Lafon en moins fabriqué. À la sensibilité de Pierre Michon. On y pense. Et si l’on pense ça, c’est que la langue de Collette est belle !
Sandrine Collette, Madeleine avant l’aube, JC Lattès, 252 pages
Le narrateur, qui semble tout voir mais que tous ignorent peu ou prou, nous fait pénétrer dans un huis-clos en plein air. Pas loin du village, trois maisons. Deux soeurs jumelles et leurs époux occupent deux de ces maisons, la troisième est celle de Rose et du narrateur.
Ni l’époque ni les lieux ne sont précisés, mais on est dans des temps difficiles où l’on travaille beaucoup pour gagner peu, dans une région pas bénie des dieux.
Les familles luttent pour survivre et, comme si la misère ne suffisait pas, voici de temps en temps le fils du seigneur du coin, parcourant la campagne au grand galop et forçant tout ce qu’il trouve sur son chemin. Madeleine, petite fille détonnante, va devoir se tailler une place dans tout ça.
Il y a un certain flou dans ces pages, envahies par la brume montant du Basilic, le fleuve coulant au bas du village. Les paysages bien sûr, les montagnes en face où la vie serait peut-être plus lumineuse, moins dure. Les personnages également, à peine esquissés. Comme si l’auteure voulait laisser le lecteur imaginer le reste, ce qui est sous la brume, derrière les non dits. Ce qui est clair, c’est la tension s’installant, faisant des pauses avant de repartir de plus belle. Et l’on vit avec ces gens, on a froid, on a faim, on éprouve l’immense fatigue des interminables journées de travail, on aime, on a peur, on gronde.
On y passe sa nuit…
* Extrait, début du ch. 2 de la 2e partie
Nous vivons au bout du monde. Le fleuve Basilic serpente sur toute la frontière de notre région, la coupant du reste de l’univers. De notre côté de la rivière, il y a quelques marais et puis en retrait, le village et derrière le village des fermes éparses comme celle de Rose, qui fait partie de cet ensemble de trois maisons qu’on appelle les Montées. Il y a des forêts et il y a des champs, et encore loin après, tout cela s’étiole et se termine par une montagne de lave presque verticale que personne ne s’est jamais aventuré à gravir.
Par Jean-Paul Garagnon | 17 octobre 2024